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Pièce vue le 19 mars 2019 au Centre Culturel Le Rive Gauche, à Saint-Étienne-du-Rouvray

© Nathadread

 

L’État est-il le seul responsable de la situation actuelle des banlieues ?

 

Voilà la question à laquelle deux étudiants en droit, interprétés par Kery James et Yannik Landrein, vont devoir s’attaquer durant un concours d’éloquence dont nous, spectateurs, sommes les jurés.

 

Kery James, qui assume le rôle de Maître Soulaymaan, jeune noir qui a grandi à Orly, devra répondre par la négative tandis que Maître Jaraudière, étudiant (blanc, faut-il le préciser ?) issu d’un milieu aisé, devra argumenter en faveur des victimes du système politique français.

 

Ici, pas de vérité absolue mais une joute verbale qui a pour objectif de nous pousser dans nos retranchements et de remettre en question nos certitudes, quelles qu’elles soient : à aucun moment, l’idée n’est de donner raison à l’un ou l’autre des comédiens.

À vif est un spectacle politique et social qui ne laisse pas indemne… Que dire de plus ? Car c’est cela le théâtre : « de la philosophie en action » (Jacques Bellay) ; un art qui provoque, bouleverse, dérange à certains moments, mais qui doit nous inviter à être ouvert et parfois, à penser le monde différemment.

 

© Raphaël Helle

 

Peu à peu, le noir se fait dans la salle. Sur un écran, des barres d’immeubles. Bruits de voitures ; sons provenant de la rue ; coups de feu.

Puis une voix, celle de Jean-Pierre Baro : « Voici l’histoire de Soulaymaan Traoré. Né dans les quartiers, tout était fait pour qu’il y reste mais Soulaymann s’est battu. »

 

Le débat est lancé entre les deux futurs avocats !

Première partie : Responsabilité.

Pour le « grand » Maître Soulaymann comme le nomme son camarade, chacun est responsable de ses actes et donc, de sa réussite ou de son échec. Pour nous résumer son propos, il commentera : « Mon discours sera celui de l’émancipation et de la responsabilisation, tandis que son discours sera celui de la victimisation ».

Comment le contredire ? N’est-il pas la preuve vivante que quand l’on veut, on peut ?

Pour Yann Jaraudière, il se dessine davantage comme l’exception qui confirme la règle… Et que dire des hommes et des femmes politiques ? Ce sont eux qui, assoiffés de pouvoir, se battent pour crouler sous les responsabilités.

 

Petit à petit, nous nous apercevons que ces deux étudiants ont des a priori l’un vis-à-vis de l’autre : un noir qui réussit devient un black, autrement dit un bounty (noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur). Un banlieusard à l’École de Formation du Barreau de Paris ? Il sait forcément où se procurer du shit… Un étudiant blanc qui provient d’un milieu riche ne peut vouloir aider son prochain que parce qu’il a honte de ne pas avoir eu à se battre ou parce qu’il désire se sentir redevable ; Kery James clamera ainsi : « Au fond, il est nécessaire pour vous de les maintenir dans un sentiment de détresse et de victimisation permanente car ce dont vous avez besoin, c’est qu’ils aient besoin de vous ! »

 

La deuxième partie du débat est quant à elle consacrée à l’École de la République.

À l’aide de chiffres et de graphiques, Maître Jaraudière démontre que l’État délaisse lamentablement les écoles de banlieues, dans lesquelles des centaines de postes sont supprimés alors que le nombre d’élèves augmente, tandis qu’à Paris se produit le phénomène inverse. Oui, il est vrai que parfois, le gouvernement attribue des primes aux quartiers défavorisés lorsque ceux-ci traversent une crise : mais d’où provient ce budget qui semble là uniquement pour panser les traumatismes ? Pourquoi ne pas l’utiliser pour prévenir ces incidents plutôt que d’attendre qu’ils se produisent ?

 

Finalement, dans une troisième et ultime partie, les discours des deux candidats de la Petite Finale s’entremêlent, s’unissent : en s’ouvrant aux autres, notre pensée s’enrichit. À eux deux, ils semblent répondre de manière plus adéquate à la question initialement posée.

 

Au théâtre comme en musique, Kery James nous offre à entendre une langue percutante, poétique ; il nous offre un spectacle vivant au sens littéral du terme : à de nombreuses reprises, les deux comédiens nous interpellent, nous prennent à parti. Le public rit, applaudit, réagit aux arguments avancés par l’un puis par l’autre.

À travers cette pièce engagée, Kery James met en lumière un sujet trop peu présent sur les plateaux de théâtre.

 

Dans la note d’intention du spectacle, Kery James écrit : « cette pièce a selon moi la capacité d’intéresser un très large public car elle raconte la rencontre entre ce que j‘appelle les « Deux France ». Deux France qui ne se connaissent pas ou s’ignorent. Deux France qui se méprisent parfois et qui continueront à avoir peur l’une de l’autre tant que seuls les médias et la classe politique leur serviront d’intermédiaire ».

 

Lorsque la lumière se rallume dans la salle, le public est debout ; les applaudissements durent longtemps. Oui, le théâtre est nécessaire ; preuve en est : tout le monde devrait voir cette pièce au moins une fois dans sa vie. On ne peut alors qu’être d’accord avec les paroles de Kery James, citées un peu plus haut.

 

À vif est une pièce de théâtre, une vraie ! Une pièce sans artifice qui veut dire la vie et l’avis dune France plurielle. Une pièce qui s’adresse à tous et qui réunit dans une même salle des personnes de tous âges et de tous milieux, des personnes qui peut-être, habituellement, ne se côtoient pas. Alors, le théâtre se dessine comme un premier pas vers un « vivre-ensemble ».

 

© Giovanni Cittadini Cesi

 

De Kery James

Mise en scène Jean-Pierre Baro

Avec Kery James, Yannik Landrein, Jean-Pierre Baro (voix-off)

Tag(s) : #Expériences de spectatrice, #Mes coups de cœur
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